« Sujet fréquemment traité dans l’histoire de l’art depuis l’Antiquité, la lutte semble refléter l’héroïque relation que l’homme entretient avec sa destinée.
Dans l’œuvre d’Alexandre Falguière, peintre mais surtout sculpteur — premier Prix de Rome et grand ami de Rodin — le rapport au réel constitue un socle fondamental. Ainsi, dans ses travaux de sculpture, il a constamment cherché à restituer le plus fidèlement possible la réalité de ses modèles. Allant même jusqu’à mouler sur nature les corps de ses muses. L’empreinte qu’il fit de la sulfureuse et iconique Cléo de Mérode, lorsqu’il réalisa sa sublime « Danseuse« , lui valut d’ailleurs d’être traité de ‘vil copiste‘.
Dans ses « Lutteurs« , le rendu pictural est également fortement marqué par un hyper-naturalisme qui inscrit l’œuvre de Falguière dans la plus pure tradition académique française de la seconde moitié du dix-neuvième. Les deux hommes engagés dans cette joute transpirent le réel. Dans l’arène, d’où émane une silencieuse fascination, on peut ressentir la tension, les prises, les corps perlés de sueur, les jeux de jambes, les muscles saillants, les regards, les mains qui cherchent à attraper et faire choir l’adversaire. Toute la violence est contenue avec subtilité et finesse dans cette toile de grand format.
De son côté, dans l’étude qu’il en propose, à travers une itération dessinée autant que peinte, Léo met un accent fort sur la force d’inertie. Tout ici est figé. La gestuelle du corps-à-corps, traitée en noir et blanc, répétée et mise en exergue hors-cadre par un débordement couronné d’épines et serti de barbelés, en accentue d’ailleurs le caractère quasi photographique. Les contrastes radicaux entre teintes, les oppositions de matité et de brillance avec le lin brut de la toile, en contrepoint duquel s’inscrit la rehausse à la feuille de cuivre, le minimalisme de la palette, ainsi que l’arche noire en forme de retable, à l’arrière-plan, deviennent des récurrences dans son vocabulaire formel. On retrouve ici encore un traitement brut — pauvre même —, sans équivoque et qui semble ne pas même chercher à masquer son sujet emprunté à Falguière ; mais bien au contraire à en prolonger le motif en le dupliquant à l’envi, fidèle à son inclination pour la sérialité.
Dans « In Æterna Sæcula — Lutte », chaque aplat semble très maîtrisé. Même les éléments plus graphiques des corps sont traités avec une forme de retenue. Chez Léo, l’obsession du juste équilibre semble gouverner chaque geste, chaque forme, chaque ligne, chaque centimètre carré de la toile. Il apparaît parfois que la composition obéisse à une logique très mécanique, à des intentions très explicites et s’abîme même, peut-être, dans une insistance symbolique : un maniérisme mystique (la couronne d’or et de barbelés), une esthétique ostentatoire, où une certaine virtuosité, comme malgré elle, se donne en spectacle.
« Les explications concernant mon travail représentent le plus grand obstacle à son expérience : les mots deviennent creux et obsolètes. L’intention de mes peintures est d’être observée et d’en faire l’expérience », dit Léo. Dès lors, laissons-lui au moins cette bonne fortune du silence et essayons de percer son mystère.
Peut-être qu’à travers « In Æterna Sæcula — Lutte », Léo nous tend-il un miroir sans fard, ni tain, une invitation à regarder le chaos de nos luttes viscérales.
La marge est infime, au bord de l’abîme. Implosion, explosion…«
#introspection #extrospection
Laure Neuchatie, 2022.